Enquête : Jober ou étudier ?
Avec l’augmentation du nombre d’heures autorisé pour le travail étudiant, le temps consacré aux cours se réduit parfois à peau de chagrin. Résultat : un taux d’échecs et d’absentéisme accru ? 4 jeunes sur 10 qui jobent avouent le faire… pendant les examens.
Juin rime avec délibérations. Bon an mal an, un tiers des étudiant.e.s franchissent le cap de la 1ère année dans l’enseignement supérieur non universitaire. Les raisons des échecs sont diverses. Mais quel est l’impact des jobs étudiants ? Les étudiant.e.s de BAC2 en Comptabilité à la Haute école Lucia de Brouckère (HELdB) ont mené l’enquête auprès de quelque 250 jeunes de l’enseignement supérieur non universitaire bruxellois.
Résultats ? 8 étudiant.e.s sur 10, grosso modo, ont un job. La plupart en ont décroché un dès qu’ils étaient en âge de le faire, soit entre 16 et 18 ans. Pourquoi ? « C’est normal qu’on travaille. On va quand même pas demander 200 euros à nos parents pour se payer une paire de Nike ! » Ou encore : « Moi j’habite dans les Ardennes. Je voulais pas y rester pour étudier. Je travaille pour payer mon kot. » 1 étudiant.e sur 2 dit ainsi répondre à ses besoins et financer ses loisirs. Puis vient l’envie d’être indépendant, mais aussi d’aider la famille.
Les sondé.e.s travaillent, d’abord, dans l’Horeca – environ 4 sur 10 -, puis dans les grandes surfaces – 2 sur 10 -, ensuite dans des petits commerces et dans le nettoyage (17 %). Plus précisément, ils/elles sont, par ordre d’importance, caissières/caissiers, serveurs/serveuses, réassortisseurs/réassortisseuses, magasiniers/magasinières, etc.
Autrefois les étudiant.e.s profitaient de leurs congés pour exercer un job. Actuellement, ils ou elles sont certes encore un peu plus nombreux.ses à travailler pendant les vacances (4 sur 10), mais presque autant à le faire pendant l’année scolaire (3 sur 10) et les weekends. Conséquence de l’augmentation continue du nombre de jours autorisés pour le travail étudiant ?
Interpellant : seul 1 étudiant.e sur 10 travaille uniquement durant son temps libre, soit en dehors de l’horaire académique. Autrement dit, 4 jeunes sur 10 déclarent exercer leur job pendant les cours, 2 sur 10 pendant le blocus et 3 sur 10 pendant les examens. Le temps consacré aux études se réduit d’autant avec un taux d’absentéisme aux cours en partie expliqué.
Pas grave, puisqu’en fait les étudiant.e.s jobistes seraient prêts à aller travailler tout de suite si on le leur proposait ? Voire moins d’1 sur 10 serait tenté de le faire. L’écrasante majorité souhaite poursuivre les études. Les étudiant.e.s veulent le beurre et l’argent du beurre ?
Ce refus de choisir a un prix. Les étudiant.e.s jobistes sont lucides : 3 sur 4 sont conscients que leur emploi a un impact sur leurs études, ainsi que sur leur vie estudiantine (loisirs, engagement citoyen, etc.). Cette difficile conciliation entre la vie professionnelle et le cursus académique est d’ailleurs épinglée comme le principal défi des jobistes (pour près de 70 % d’entre eux), avant le stress (1 jeune sur 2), les clients et/ou collègues difficiles (26 %), etc.
Sous pression, nos jeunes jobistes ? Oui clairement, au moins, pour une part significative d’entre eux. « Excusez-moi, c’est mon patron qui m’appelle » : en plein cours, un étudiant prend la direction de la sortie, GSM à l’oreille. Ainsi, un quart d’entre eux déclare avoir déjà été incité par un.e employeur.se à brosser les cours. Et 4 sur 10 avouent avoir déjà jobé sans contrat.
Il est clair : ce sondage d’étudiant.e.s est un simple instantané d’une certaine réalité, celle de quelque 250 étudiant.e.s, interrogé.e.s en avril dernier, majoritairement issu.e.s de la HELdB (3 sur 4). Il s’agit essentiellement des plus jeunes : 6 sur 10 sont en 1ère année et ont entre 17 et 21 ans. Pour la plupart, leur retard scolaire est léger : près de 30% des étudiant.e.s n’en ont aucun, 40 % ont recommencé une seule année.
Ce sondage confirme par ailleurs la précarisation du public en haute école. Plus d’un tiers des répondant.e.s financent leurs études grâce à une bourse. L’aide des parents est l’autre source de financement la plus importante. Ensuite, ce sont les revenus de leur emploi pour 1 étudiant.e sur 5, puis l’aide sociale. La majorité des parents (deux tiers) n’ont en effet pas fait d’études supérieures.
Autre sujet de réflexion : les répondant.es sont fortement impliqués dans le travail informel, non rémunéré : plus d’1 étudiant.e sur 2 passent entre 8 et 16 heures à réaliser des charges domestiques et familiales (s’occuper de petits frères et sœurs voire de leur propre enfant…), ce qui représente encore 1 ou 2 journées hebdomadaires qui ne sont pas consacrées aux études.
« L’État autorise les étudiant.e.s à travailler durant un nombre très élevé d’heures (600 heures), ce qui fait que les employeurs se permettent d’abuser de ces derniers en leur infligeant une surcharge de travail importante et les obligeant à travailler même durant les heures de cours, ce qui impacte directement la réussite scolaire de l’étudiant, résume Oussama (21 ans). Cependant, même si le nombre d’heures de travail légal est élevé, certains étudiants en ont plus que besoin afin de subvenir à leurs besoins. »
Tout est dit. Ou presque. Car évidemment le culte de la consommation, de l’apparence, de la vie facile… attise cette notion de « besoins » chez les jeunes. La quadrature du cercle. Certes, ce sondage estudiantin n’a pas permis d’établir une corrélation entre le taux d’échec et le temps consacré à jober. Mais il laisse entrevoir au moins une des raisons de l’absentéisme aux cours et des enjeux de concurrence, y compris en période d’examens. Il amène surtout à la nécessité d’une réflexion – parallèlement à toutes les aides mises en place à la réussite – sur « comment encadrer davantage le travail étudiant » pour rappeler aux intéressé.e.s ce qu’ils et elles sont peut-être en train d’oublier : leur premier job, c’est d’étudier.
Dorothée Klein, maitre-assistante en Communication à la HELdB, avec Sébastien Luque, techno-pédagogue.